SPECIALE 56ma BIENNALE DI VENEZIA
Des jeux dont j’ignore les règles
by Boris Achour

DES

Des jeux dont j’ignore les règles développe certaines des recherches déjà présentes dans des œuvres antérieures (Séances, 2012 ou Jouer avec des choses mortes, 2003), notamment les relations entre des éléments existant comme sculptures dans l’espace d’exposition mais également et simultanément comme accessoires manipulés par des acteurs dans l’espace filmique. J’envisage ces nouvelles sculptures comme des jeux dans la mesure où elles sont destinées à être utilisées comme tels dans des films qui leur sont associé, mais également car chacune d’entre elles est constituée d’une surface horizontale (que l’on peut considérer comme un «plateau») et de petits éléments variés (qui eux peuvent être envisagés comme des «pièces» ou des «pions»).

JEUX

Pourquoi suis-je intéressé par la notion de jeu? Parce que le jeu, le fait de jouer, est sa propre raison d’être, sa propre nécessité. Parce que le jeu, comme l’art, est sans pourquoi, qu’il est sa propre fin et sa propre explication. Il ne s’agit bien évidemment pas d’art pour l’art mais du fait que l’art, comme le jeu, comporte un élément irréductible, une force interne intrinsèque, qui dépasse toute notion de but. J’ai toujours considéré l’art non pas comme une fin en soi, mais bien au contraire comme un outil permettant d’envisager et de construire des relations autres que celles qui nous sont habituellement données. Produire une œuvre d’art c’est proposer pour moi-même mais aussi et surtout pour celui qui accepte de s’en saisir, le spectateur, un outil poétique, conceptuel et formel qui permette de créer des rapports autres à soi et au monde. Et le jeu me semble être la parfaite métaphore et mise en application de cette conception.

DONT

Inventer des jeux dont j’ignore les règles, avec le double sens que ce mot possède en français (ne pas connaître mais aussi refuser) est également pour moi un formidable cadre à l’intérieur duquel créer des formes avec une grande liberté.
Un autre aspect qui m’importe est celui du rapport dialectique et temporel qui existe entre les sculptures et les films : les jeux/sculptures ne sont en aucun cas destinés à être activés par le public et il ne s’agit surtout pas d’un art participatif. C’est uniquement dans les films que l’on peut voir des personnes manipuler ces sculptures, y jouer, même si les règles qui régissent les déplacements des pièces et les buts à atteindre restent énigmatiques. Cette tension entre l’état «au repos» des sculptures et leur état «activé» dans les films affirme pour moi ceci : l’art n’est pas plus dans le passé de la représentation/manipulation/activité/jeu qu’il n’est dans le présent de l’objet exposé. L’art est dans l’articulation de ces deux moments, de ces deux états, de ces deux conceptions mort/vivant, actif/au repos, agissant/muséifié. Il s’agit donc d’une manière de dépasser ces antagonismes et ces apparentes contradictions et d’attirer l’attention sur la part active du spectateur, sur l’importance de l’expérience de l’œuvre.

J'IGNORE

Tous ces jeux se jouent à deux. Ils proposent d’inventer des relations entre deux personnes, des relations de type sensible, poétique, érotique et conceptuel par l’intermédiaire de formes. Et ces jeux me permettent également de jouer avec des formes produites par d’autres artistes dont j’aime et que j’admire le travail, de me mettre moi aussi en relation avec eux par l’intermédiaire des formes que je réalise.

LES

À chaque sculpture correspond un court film, de 2 à 6 minutes environs, qui documente et fictionnalise l’utilisation du jeu. Si j’ai choisi de présenter dans deux espaces différents les sculptures et les films, c’est pour renforcer à la fois leur complémentarité et leur différence de statut. Chaque film possède ses qualités plastiques propres, son esthétique, son ambiance, un type de montage et de rapport au son particulier. Dans l’univers du film les joueurs ne sont pas en train de manipuler des œuvres d’art mais bel et bien de jouer à un jeu qui leur est familier. Ces films ne sont donc pas des enregistrements de performances mais des fictions autour d’un jeu dont la nature, les buts et les règles nous restent étrangers.

REGLES

En parallèle et en complément au projet, un jeu de cartes a été créé par Maki Suzuki, du groupe Abake. Ce jeu de 80 cartes, inspiré du Tarot de Marseille, des cartes à collectionner ou à échanger et d’un format rappelant celui des cartes de visites comporte des lettres ou des images des jeux. Il a un double usage : il sert tout d’abord à écrire les titres des œuvres et du film, à la manière des jeux tels que le Scrabble ou Des chiffres et des Lettres et remplace (ou redouble) le cartel de l’œuvre. Ces cartes sont déposées et disponibles sur le banc faisant face au film. Il est un prolongement gratuit à collectionner et un fragment Des jeux dont j’ignore les règles, lui aussi à l’usage incertain et libre.

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Boris Achour Né en 1966. Enseigne à l’Ecole nationale d’art de Paris Cergy depuis 2010.
http://borisachour.net/bio/